Chaïbia TALAL (1929-1994)
Chaïbia Talal était une artiste autodidacte
marocaine. Née au village de Chtouka près d'El Jadida, elle s'éteignit à l'âge de 75 ans à Casablanca. Elle est considérée comme la
peintre la plus populaire au Maroc. Elle est surnommée "la paysanne des arts"; Comment cette femme au parcours absolument
inhabituel avait-elle pu garder cette fraîcheur et cet enthousiasme malgré les
aléas de la vie?
Elle fut tour à tour une petite fille de la campagne élevée de
manière traditionnelle et destinée à l'accomplissement des travaux domestiques
et agraires, jeune épouse à treize ans et veuve prématurée, et chef de famille
peu de temps après. Issue d'un milieu totalement étranger au monde de l'art sa
carrière fut fulgurante. J. Lévèque exprimait l'idée quelques années auparavant
qu'elle n'aurait jamais été reconnue s'il n'y avait pas eu la remise en
question de l'art contemporain ; cela est vrai pour de nombreux artistes précurseurs
comme Dubuffet ou Corneille. Peu d'artistes connaissent une aussi parfaite
adéquation entre leur vie et leur œuvre : si l'on se réfère à des toiles des
premières années comme “la femme berbère”, cet embryon aux yeux apeurés qui
semble sortir de la gangue originelle et qui s'éveille à la vie, encore
emprisonnée dans sa bulle protectrice, Chaïbia y peint la difficulté de naître
et de s'exprimer pour une femme traditionnelle. Si l'on se penche sur une
photographie de l'artiste à ses débuts, telle celle réalisée pour le catalogue
d'exposition de la galerie Solstice en 1966, l'artiste paraît plutôt gauche et
timide, coiffée de son bonnet qui lui donne une allure juvénile et campagnarde.
C'est ainsi que Chaïbia “se peint”, elle a maîtrisé le sujet; point n'est
besoin d'avoir recours à l'illusionnisme pour représenter la femme berbère
telle que les peintres orientalistes du début du siècle la montraient avec ses
lourdes parures d'argent et les yeux soulignés de khol, ainsi que ses
tatouages; celle de Chaïbia des années 1970 est une femme militante, frôle mais
dont l'énergie est intacte. Elle entre dans la civilisation actuelle et exprime
dans son regard déterminé sa volonté de reconnaissance. Chaïbia n'en appelle
nullement à un nouveau réalisme tel qu'il a pu s'exprimer dans la peinture
française de Bernard Buffet dans les années 48 ou par les peintres engagés du
monde arabe quelques années plus tard. Chaïbia exprime sa propre vision sans
aucun souci d'école. De la même façon la femme d'EL Jadida, cette toile des
années 78 qui appartient à la collection de l'Art brut à Lausanne n'exprime pas une représentation
de type illusionniste. Elle nous apparait, telle une Athéna guerrière bardée
d'une cuirasse, coiffée d'un couvre-chef de guerrier indien, tenant à la main
les attributs de l'Athéna combattante. Un poulpe, symbole souvent employé dans
le vocabulaire berbère, se tient malicieusement à sa gauche. Un large dessin
contour, des couleurs vives sont employées pour signifier cette femme à
l'allure combattante. Chaïbïa, dans cette toile nous révèle une femme bien
différente des précédentes. La peinture de Chaïbia devient de plus en plus
expressive tendant vers l'essentiel : sa propre vision du monde. C'est ainsi
que dans les années quatre-vingt-dix Chaïbia peint de plus en plus de portraits
et de groupes où elle ne dépeint plus le réel mais où elle évoque
l'impondérable : la fierté de la femme fassi dans “Fassia”, le goût de la fête
et le monde ludique du cirque dans sa grande composition “les comédiens”.
Chaïbia peint de manière irréaliste, avec un sens humoristique inné. Devenue
figure de proue de la modernité et porte flambeau de la femme au Maroc, elle
demeure inclassable.
Jeune femme au collier
Femme à la prière, 1970
L'Amoureuse, 1971
Le Berger, 1980
Les Gens du spectacle, 1990